«Tant que tous les enfants ne jouent pas au Lego, il nous reste du boulot!»
... suite de l'article d'hier avec l'Interview de Jorgen Vig Knudstorp - PDG depuis 2004 du fabriquant de jeux - est l'artisan du redressement de Lego et de son expansion mondiale. Par Keren Lentschner et Bruno Jacquot (Publié le 07/04/2016 pour le figaro)
LE FIGARO. - Plus de 80 ans après sa création, Lego est au sommet. Quel est le secret de ce succès?
Jorgen Vig KNUDSTORP. - Nous plaçons l'enfant au premier plan et notre priorité est de lui proposer des jouets de qualité. Lego tient aussi sa force de sa relation de longue date avec ses partenaires. De même, nos employés ont un vrai sentiment d'appartenance. Nous veillons à faire preuve de transparence, d'intégrité et à la sécurité. Enfin, Lego est une entreprise familiale qui n'est pas obnubilée, comme la plupart des entreprises cotées, par le retour sur investissement. Nous pouvons ainsi rester focalisés sur nos valeurs. C'est cela, la recette de notre longévité.
Pourtant, lorsque vous avez pris la direction de Lego, en 2004, l'entreprise traversait une crise profonde…
La raison d'être de Lego, c'est la brique en plastique. Or, il s'en était éloigné pour se diversifier à marche forcée dans des domaines qu'il ne maîtrisait pas. Lorsque je suis arrivé, nous nous sommes recentrés sur notre cœur de métier: la petite brique que nous avons amenée, depuis, dans 140 pays. Nous nous sommes aussi astreints à une grande discipline opérationnelle en resserrant les coûts et en adaptant la production aux grands temps forts de l'année, quel que soit le continent.
Comment avez-vous modernisé Lego?
Nous n'avons pas dévié de notre chemin. Nous avons été très actifs dans la transformation digitale de notre contenu en lançant des séries TV ou Web… Lego est aujourd'hui l'une des marques ayant le plus fort taux d'engagement sur les réseaux sociaux. Nous n'avons cessé d'encourager l'imagination en racontant des histoires autour de chacun de nos univers. Nous avons aussi élargi notre cible, aux petites filles (Lego Friends), aux petits (Duplo) ou aux jeunes adultes (Lego Architecture). Et avec nos magasins, nous entretenons notre relation avec les plus passionnés de nos fans. Enfin, nous avons développé une présence mondiale inédite. Aux États-Unis, notre activité a été multipliée par cinq aux États-Unis en dix ans, par dix en Russie. En Chine, notre croissance moyenne annuelle oscille entre 50 et 100 % selon les années.
Pourquoi avoir maintenu l'essentiel de votre production en Europe dans un secteur où tout est fabriqué en Chine?
Notre parti pris est différent. Nous devons avoir nos propres usines afin de maîtriser la qualité de nos produits et nous adapter à la demande. L'Europe ayant longtemps été notre principal marché, nous avions aussi intérêt à en être proches. Bien sûr, le coût de production est plus élevé en Hongrie qu'au Vietnam. Mais, à Noël, notre temps de réaction est bien meilleur. De même, nous avons une usine au Mexique pour desservir notre premier marché, les États-Unis, et une en Chine pour ce marché.
Lego est une des entreprises les plus rentables du jouet malgré la complexité de son modèle industriel. Comment?
Il est vrai que notre assortiment de produits est large avec 3 600 sortes d'éléments différents de 60 couleurs. L'an passé, nous avons fabriqué 70 milliards de briques… Un peu à l'image de l'industrie automobile où plusieurs modèles utilisent des équipements communs, nous fonctionnons en plateforme. Nous fabriquons les briques puis nous les répartissons dans les différentes boîtes pour composer nos modèles. En massifiant ainsi la production, nous contenons nos coûts. Cela ne nous empêche pas, chaque année, de nous autoriser quelques fantaisies, comme l'imposante chevelure bleue de Marge Simpson. D'un point de vue financier, c'est un non-sens compte tenu du travail que cela demande! Mais nos fans y sont sensibles.
Lego a davantage recours aux licences comme Star Wars. N'est-ce pas un pari risqué qui a failli vous coûter cher autrefois?
Au début des années 2000, nous en avions abusé et cela nous avait fragilisés. Pour cette raison nous veillons, depuis, à protéger l'ADN de Lego en renforçant les thèmes maison (Ninjago, Chima…) tout en misant sur les licences. Parmi nos cinq meilleures ventes, il n'en figure qu'une seule, Star Wars. Cet équilibre est important. C'est pour cela que nous sommes très sélectifs dans notre choix de licences pour privilégier celles qui s'apparentent à des contes de fées d'aujourd'hui.
Les tablettes ne menacent-elles pas les jouets traditionnels?
Lorsque j'étais enfant, mes parents trouvaient que je regardais trop la télévision! Aujourd'hui, les enfants la trouvent ennuyeuse et préfèrent ordinateurs ou tablettes, plus interactifs. Nous pouvons en faire une expérience positive de jeu comme avec notre dernière gamme, Nexo Knights, où les mondes physique et virtuel s'entremêlent. Les jeux vidéo ne remplacent pas les jouets. Le jeu vidéo Fifa est un best-seller mondial, cela n'empêche pas les enfants de taper dans un ballon!
Le film La Grande Aventure Lego ou les séries TV ou Web sont-ils indissociables de votre stratégie?
Les enfants sont en quête d'émotion. Ils aiment explorer des univers. C'est fascinant pour eux de voir une histoire prendre vie. Et pour nous, c'est un moyen de faciliter l'interaction. Mais nous le faisons avec parcimonie, uniquement pour nos thèmes majeurs. Nous ne nous voyons pas comme une entreprise de média ou de divertissement. Nous faisons confiance à des spécialistes à condition que cela apporte de la valeur ajoutée à nos consommateurs.
À quoi ressemblera Lego dans dix ans?
Lego doit rester concentré sur la brique. L'entreprise continuera à étendre sa présence dans des régions où nous sommes encore peu présents: le Moyen-Orient, l'Amérique latine ou encore l'est de l'Asie. Tant que tous les enfants de la planète ne jouent pas au Lego, il nous reste du boulot! Nous n'en avons pas fini non plus avec la révolution digitale. Elle bouleverse les consommateurs dans leurs modes d'achat, nos distributeurs dans leurs magasins, les enfants qui regardent de plus en plus leurs émissions en streaming… Mais, lorsqu'on grossit et que l'on devient plus célèbre, le défi consiste à protéger son image et sa réputation. Il faut se prémunir contre les attaques informatiques, les risques qualité… Autant de sujets sur lesquels nous ne pouvons accepter de compromis.
Allez, au plaisir de vous lire ... Enjoy !!!